Fabrice Huet : 30 ans d’urostomie et une sérénité à toutes épreuves.

30 ans d’urostomie, le témoignage de Fabrice - Urostomie, Bricker ou dérivation urinaire : plusieurs mots pour définir la stomie urinaire.
Fabrice Huet, porteur d’une urostomie.

Urostomie, Bricker ou dérivation urinaire : plusieurs mots pour définir la stomie urinaire.

Stéphanie : Bonjour Fabrice. Vous avez 50 ans aujourd’hui et avez subi une urostomie, qui est également appelée Bricker, dérivation urinaire ou encore urétérostomie à la fin des années 70.

Pour commencer, donnons une définition de l’urostomie ou stomie urinaire. En fait, il s’agit d’une petite ouverture pratiquée au niveau de l’abdomen qui consiste à dévier l’écoulement des urines.

Cela dit, le placement d’une urostomie temporaire ou définitive est décidée par l’équipe chirurgicale en accord avec le patient.

En ce domaine, il est possible parfois d’entendre parler d’urostomie associée à l’utilisation d’une sonde. Dans ce cas l’appellation précise est Mitrofanoff, du nom du chirurgien ayant créé cette technique.

À ce propos il existe 3 types de stomie : L’urostomie, la colostomie et l’iléostomie.

Ensuite, vous avez souhaité nous parler ouvertement de cette stomie, qui n’a pas de sphincter (de muscle pour en contrôler l’ouverture et la fermeture ; ici, pour contrôler l’évacuation des urines), et qui ne vous donne aucun contrôle volontaire sur le moment où vous urinez, d’où le port d’une poche.

Pour consulter l’article « Auto-sondage : gérer le retour à l’école avec un Mitrofanoff «  cliquez ici >>

Pouvez-vous nous parler de l’arrivée de l’urostomie dans votre vie et comment vous avez vécu cet événement ?

Fabrice : Effectivement, j’avais 9 ans lorsque mon chirurgien m’a expliqué l’opération de dérivation qu’il « nous » proposait, à mes parents et à moi.

Je dis « mon » chirurgien car je suis né avec une « exstrophie vésicale ».

Cette malformation congénitale rare (1 cas pour 30 000 naissances) m’a empêché d’avoir une vessie de taille suffisante pour recueillir mes urines, et aussi un sphincter pour les contrôler.

Ainsi dès mes premiers jours de vie, on m’a opéré pour éviter les infections. C’est pourquoi je dis « nous » maintenant car mes parents ont vécu ces évènements plus que moi, et à 9 ans, le chirurgien s’adressait autant à eux qu’à moi.

C’était aussi une opération qui allait conduire à un grand changement de vie.

Comment gériez-vous ce handicap à l’école primaire et secondaire ?

Tout d’abord, vous vous demandez comment je faisais si je n’avais ni une vessie assez grande, ni de sphincter ?

Au fond, c’est « trop » simple : je portais des couches ! Et j’en portais encore à l’âge de 9 ans. À vrai dire ce n’est pas grave, je n’avais pas vraiment d’amis. Alors je compensais en essayant d’être le meilleur à l’école …

Non seulement, le chirurgien a bien expliqué ce qu’il allait faire, mais en plus, il l’a bien fait. Quarante et un ans après, j’ai rencontré une infirmière qui était étonnée de la bonne qualité du travail réalisé. Elle était aussi surprise qu’il n’y ait pas eu d’intervention depuis l’opération initiale.

Après l’opération, mes parents ont déménagé, notamment pour que mes nouveaux camarades d’école aient un regard neutre sur moi.

Naturellement, je me suis fait des amis. C’était plus facile !

D’abord je me souviens qu’un jour, j’ai montré en cachette mon urostomie et l’appareillage à l’un d’eux. Toutefois il a cru que je cachais une tarte au citron avec une cerise dessus.

Mais quand je lui ai expliqué ce que c’était, il m’a conseillé de ne pas en parler. J’ai suivi son conseil. Ai-je bien fait ? Ai-je eu tort ? Peu importe ! J’ai profité de la vie et de mes nouveaux amis. Je jouais à tout : au foot, aux billes, … mais il me semble que j’étais dispensé de piscine, pour éviter les questions. Et j’essayais toujours de faire de mon mieux à l’école, et ça marchait d’ailleurs assez bien.

Lorsque vous étiez enfant, pouviez vous dormir chez des copains ?

En effet, vers 11-12 ans, un copain m’a invité à passer la nuit chez lui. J’ai hésité, et puis après avoir pris conseil auprès de mes parents, j’ai accepté, même s’il y avait du matériel à prendre pour la nuit.

La poche que je portais sur le ventre était trop petite pour que toute l’urine de la nuit y tienne. Alors, j’avais une « poche de nuit » que je « branchais » sur la poche collée sur mon ventre. J’avais bien choisi mon ami : lui et ses parents ont accepté de me recevoir même si j’avais cette différence, et comme tout s’est bien passé, ça m’a donné confiance pour d’autres sorties.

Pour toutes ces raisons, je me suis rendu compte que le choix de mes parents de me laisser me débrouiller seul pour changer ma poche était un bon choix. Je la change 2 à 4 fois par semaine. Par conséquent, être indépendant m’a permis de faire des choses que j’aurais hésité à faire, comme des sorties chez mes amis, partir en colonie de vacances, etc.

A l’âge adulte, en années universitaires, était-ce plus compliqué à cause de l’urostomie?

Fabrice : Pas vraiment !

En fait en grandissant, j’ai intégré les changements de poches et les nettoyages des poches de nuit dans le rythme de ma toilette. J’ai rencontré d’autres amis, j’ai grandi… Mais certains disent que j’ai été plus lent que d’autres à grandir car ce n’est que vers 25 ans que je me suis intéressé aux filles pour autre chose que pour discuter.

Avant, j’avais plusieurs amies, mais c’était discuter avec elles qui m’intéressait le plus. Annoncer ma malformation et ma poche a été simplifié par le fait qu’elles ne sont pas visibles.

Pensiez-vous pouvoir créer une famille ?

D’abord, une des conséquences majeures de ma malformation est la difficulté à avoir des enfants, par plusieurs aspects.

Certains me qualifieraient de chrétien fanatique en voyant que j’ai fait confiance à Dieu pour trouver l’âme sœur, et pourtant, c’est ce qu’il s’est passé. Ensuite, j’ai épousé Florence en 2001, et quelques années après, nous avons eu une fille.

Aujourd’hui elle a 12 ans. Il y a un côté miraculeux à cette naissance.

Avez-vous quelques anecdotes à nous raconter, qu’elles soient positives ou négatives ?

Fabrice : Bien sûr !

Pour commencer, les moins agréables : les fuites. En fait, il y en a de plusieurs types. D’ailleurs, je me souviens de cette décoloration « jaune » de la moquette bleue à côté de mon lit : j’ai vraiment trop souvent oublié de fermer le robinet de la poche de nuit.

Une autre : j’ai cru que je pourrai vider ma poche (trop pleine) dans une bouteille alors que j’étais dans les embouteillages du périphérique parisien. Finalement, il y avait trop de pression, et je m’en suis mis partout. Depuis, je n’attends plus pour vider ma poche. Je fais plus de pauses, ou je remplis la bouteille bien avant que ça ne soit trop plein.

Pour prendre un autre exemple je me souviens avoir été dans la même chambre d’hôpital qu’un autre enfant avec un problème similaire au mien. On l’avait opéré quelques jours avant moi pour lui faire aussi une stomie.

Lorsque l’infirmière a voulu lui enlever un drain, il a tellement souffert que le chirurgien lui-même a dû venir pour le lui enlever. En tout cas, après avoir coupé le fil qui empêchait le drain d’être enlevé, le chirurgien est venu me dire qu’il m’enlèverait lui-même mon drain. Et tout s’est très bien passé.

Pouviez-vous aller à la piscine par exemple ?

Tout d’abord il faut dire que du moment où j’ai eu mon urostomie, ma maman achetait tous mes maillots de bain en double pour en faire un unique.

En effet, ma stomie a été placé un peu haute (pour qu’elle ne descende pas trop avec la croissance, et que l’appareillage soit encore aisé).

En fait, j’avais des maillots de bain qui montaient assez haut sur mon ventre, et ça m’a valu quelques questions.

À ce jour, je porte des maillots de bains normaux. On voit parfois un peu ma poche, mais ce n’est pas grave.

En tout cas, une fois j’ai répondu à un enfant qui me demandait ce que c’était : « quand j’étais petit, j’ai été malade, et on m’a réparé avec ça ». La réponse lui a suffi.

J’assume totalement !

Après-tout, c’est grâce à cette poche que je peux vivre normalement.

Parlez-nous des appareils que vous avez portés et de leur évolution au fil des années. Quels ont été vos différents appareillages ?

Fabrice : Il faut dire que non seulement les appareillages ont évolué, mais mon corps et mes préférences ont aussi évolué.

Je n’ai pas eu trop de choix sur mon premier appareillage.

Le chirurgien m’avait expliqué la dérivation qu’il me ferait, et le jeûne que je devrais faire, mais pas l’appareillage que j’aurai sur le ventre.

Grosse surprise ! C’était une poche collée sur un anneau en « karaya », lui-même collé sur mon ventre.

En sortant de l’hôpital, on devait se fournir chez un des rares pharmaciens qui avait ce matériel, puis des poches de nuit et de la teinture de benjoin. (La teinture de benjoin est une substance naturelle qui a la propriété de protéger la peau. Le karaya, en plus du rôle protecteur, a des propriétés adhésives).

A l’époque, seule la poche de ventre et l’adhésif étaient remboursés par la Sécurité Sociale.

Quelques années après, le pharmacien (spécialisé) m’a fait découvrir les poches en hydrocolloïde.

C’était beaucoup mieux, mais la transition a généré quelques fuites : le temps de comprendre comment l’utiliser, et de trouver l’astuce d’ajouter du sparadrap tout autour de support qui fait le lien entre la peau et la poche.

Quelques années après sont apparues les supports avec le « sparadrap intégré » au support. C’était une révolution pour moi, et je les ai gardés jusqu’à hier.

En effet, le laboratoire a prévenu via son journal qu’il allait arrêter ce modèle de poche et support à la fin de l’année.

Quand avez-vous décidé de changer d’appareillage ?

Dans les grandes lignes c’est entre mars et août 2020, une grande campagne de recherche du « bon » appareillage a commencé. C’est pour cela que j’ai demandé aux laboratoires des échantillons pour appareiller mon urostomie.

Mais n’y arrivant pas, je suis allé voir une stomathérapeute. Plus tard après plusieurs essais, elle non plus ne savait plus quoi me proposer : tout fuyait, avec ou sans pâte, avec ou sans anneau protecteur …

A savoir : La stomathérapie consiste à prodiguer des soins infirmiers spécifiques et adaptés aux patients porteurs d’une stomie digestive ou urinaire.

Puis, j’ai essayé des supports « convexes » : ces supports ne sont pas plats mais appuient un peu sur la peau. Avec l’âge, on a des plis de peau qu’il faut combler.

Sur ma morphologie, la pâte n’est pas efficace, mais ces supports convexes le sont !

Je disais que mes préférences ont évoluées.

En effet, en 1990, j’ai réalisé que l’utilisation d’une poche de nuit n’était pas indispensable.

Au fur et à mesure et avec le temps, le cerveau se rend compte, même en dormant, que la poche est pleine et qu’il faut aller la vider.

J’ai donc changé ma façon de vivre. Normal, j’avais 20 ans.

Aujourd’hui, ça fait 30 ans que je n’utilise plus de poche de nuit.

Parfois je dois me lever pour aller aux toilettes, mais le plus souvent, je passe des nuits complètes et reposantes.

Parlez-nous de votre dernier matériel de stomie, quel est-il ? quelle marque ? et pourquoi ce choix ?

Fabrice : J’ai été responsable de l’organisation de sorties de « jeunes » stomisés sur l’île de France. Ma place dans cette association m’a conduit à rencontrer les 4 laboratoires qui fournissent du matériel de stomie en France (B-Braun, Coloplast, ConvaTec, Hollister).

Par ailleurs pour plein de bonnes raisons, je me suis mis à essayer les matériels des différents laboratoires. A mon avis, les matériels sont équivalents.

D’autant plus que leur prix de vente est identique (même si on ne le voit pas puisqu’il est généralement pris en charge à 100 % par la Sécurité Sociale).

L’aspect le plus important de mes critères de choix sont aujourd’hui le volume de la poche de recueil (je souhaite le plus grand possible) et l’écologie.

J’ai fait un choix il y a quelques semaines (c’est donc très récent), mais je ne pense pas qu’il soit définitif.

Quoiqu’il en soit, le critère « évident » est qu’il n’y ait pas de fuite.

Est-ce que cette urostomie vous empêche de vivre normalement ? Travaillez-vous ? Pouvez-vous faire des activités sportives ? faites-vous d’autres activités ?

Fabrice : Mes parents m’ont élevé pour que je ne dépende pas d’eux.

Je les en remercie tellement ! Aujourd’hui, je suis marié, j’ai une fille, et je travaille comme la plupart des gens.

Les appareillages de stomie d’aujourd’hui sont fiables même dans l’eau.

Alors je vais me baigner à la piscine ou à la mer pour faire plaisir à ma fille.

J’ai voyagé également dans plusieurs pays pour les vacances. J’ai eu l’occasion de faire de l’accrobranche, et même du ski nautique ! Mais… je ne suis pas très sportif.

À ce propos, j’ai rencontré un stomisé qui faisait des sports de combat. Et puis quand je lui ai demandé s’il n’y avait pas de risques, il m’a répondu qu’il s’était confectionné une protection à la manière de celles qui existent pour les testicules.

Rien n’est interdit quand on porte une poche si on n’a pas d’autres contre-indications, sauf peut-être le port de charges lourdes (il y a quand-même un trou dans les muscles de la ceinture abdominale).

Les gens qui vous entourent sont-ils au courant de votre urostomie ?

Fabrice : Quelques personnes sont informées du fait que je porte une poche sur le ventre. Ma famille, bien entendu, qui prend soin de moi. Leur difficulté est de savoir doser entre « protection » et « laisser faire ».

J’ai d’ailleurs ressenti la même gêne lorsqu’un ami m’a annoncé son diabète. Je me suis mis à tout vérifier pour savoir s’il ne prenait pas de risques, alors qu’en pratique : il se connait.

De la même manière, je sais ce que je peux et ne peux pas faire. Et à quel moment je peux le faire ; par exemple, je vais éviter de courir alors que la poche est vraiment pleine. J’irai aux toilettes avant.

Etes-vous soutenu par vos amis ?

Mes amis proches sont informés de mon état ainsi que quelques collègues. Étant donné que j’ai rarement des problèmes avec ma poche (ou ils ne le voient pas), nous n’abordons pas le sujet. Comment gériez-vous ce handicap à l’école primaire et secondaire ? Mes amis proches sont informés de mon état ainsi que quelques collègues. Étant donné que j’ai rarement des problèmes avec ma poche (ou ils ne le voient pas), nous n’abordons pas le sujet.

C’est comme si on demandait à quelqu’un s’il va bien aux toilettes (en dehors du « ça va » du matin qui, de toutes façons, a perdu son sens premier).

Il est vrai qu’il m’arrive encore d’avoir des fuites. Le plus gênant, c’est quand la fuite arrive alors que je dors chez mes beaux-parents. Mais comme ils sont bienveillants, ils sont presque plus gênés que moi !

Oui, mon entourage m’est d’un grand soutien et c’est une grande chance !

Dans le cadre de cette maladie, avez-vous fait de belles rencontres, et que vous ont-elles apportées ?

Fabrice : Il est à noter que dans mon cas, ce n’est pas une maladie : c’est une malformation. Autrement dit ça veut dire que c’est un état qui est stable. Au contraire, la maladie ça se développe, ça prend parfois des proportions qui remettent en cause toute la vie.

Jusqu’au moment où, j’ai voulu partager ce que j’ai vécu avec d’autres.

Alors je suis passé par le laboratoire qui me fournissait en matériel. Par la suite, ils m’ont envoyé une invitation pour assister à une rencontre de stomisés.

J’ai commencé à fréquenter et prendre une part active avec une puis plusieurs associations de personnes porteuses d’une stomie.

C’est ainsi que j’ai rencontré des gens que j’apprécie beaucoup et cela dans plusieurs pays : France (dans plusieurs régions), Belgique, Allemagne.

Sans ma malformation, je ne les aurais pas rencontrés.

Et sans ces personnes, je n’aurais probablement pas pu expliquer ce qu’est ma malformation à celle qui est devenue ma femme.

C’est la raison pour laquelle je repense à beaucoup de personnes et beaucoup de bons moments, en répondant à votre interview, Stéphanie.

Qu’auriez-vous envie de dire aux personnes devant prochainement subir une urostomie ?

Fabrice : Souvent, on s’imagine qu’être porteur d’urostomie se voit !

Alors, si c’est cela qui vous tracasse, demandez à rencontrer un « urostomisé » pour vous rendre compte.

Même si toutes les urostomies et leurs causes sont différentes, elles ont des points communs : la vie avec une poche sur le ventre.

Votre médecin ou votre infirmière stomathérapeute aura probablement répondu à plusieurs de vos questions.

Mais entendre ces réponses dans la bouche de quelqu’un qui le vit n’a pas la même portée !

C’est pourquoi j’utilise parfois le terme « prothèse de vessie » pour parler de mon appareillage. Ça peut aider mes interlocuteurs à comprendre que la fonction « vessie », je l’ai aussi… Et j’ai l’avantage de ne pas avoir de douleurs quand elle est pleine, juste la « fuite » qui n’est pas placée au même endroit.

Il y a plusieurs possibilités pour les « prothèses ». Demandez à choisir, avec le conseil avisé de la personne qui vous accompagne.

Votre vie aujourd’hui en un mot… ?

Fabrice : Sérénité.

Je me sens serein parce que j’ai un Dieu merveilleux qui m’aime, qui a donné son fils Jésus pour que je puisse m’approcher de lui, qui est un Dieu de justice.

Et cela, alors même que je suis injuste malgré mes efforts pour ne plus l’être.

Je suis serein parce que ce Dieu, créateur des cieux et de la terre, veille sur moi et m’accompagne dans la vie, même si j’ai une prothèse de vessie.

Obtenez plus d’information sur la stomie sur le site de l’association AFA Crohn RCH en cliquant ici >>

Propos recueillis par Stéphanie DEVISSCHER,

Rédactrice presse/web.

Tu fais partie d’une association de patients ?

Contacte-nous dès à présent pour en discuter